Rétentions du souffle à poumons vide : le grand raccourci

Le vide, le plein, ce qui va de l'un à l'autre, expirations et inspirations, sont les quatre composantes de la respiration. Inspirations et expirations se font naturellement, automatiquement. Les rétentions à poumons pleins ou à poumons vides correspondent à des moments particuliers, anormaux pourrait-on dire, elles sont la conséquence d'événements internes ou externes, rarement d'une intention consciente. Dans le déroulement naturel de la respiration elles n'existent pour ainsi dire pas.

Les rétentions à poumons pleins évoquent l'expansion, l'ouverture, la circulation, elles sont une impulsion vers l'extérieur. Les rétentions à poumons vides sont l'inverse, la contraction, la rétraction, l'aspiration, le retour à un point central, sans temps ni espace, elles coagulent et immobilisent l'énergie et la pensée. Le plein est en rapport avec la vie, le mouvement, l'extérieur, le vide est en rapport avec la mort, l'immobilité, la solitude et l'intérieur. Toutes ces raisons et différences font que le plein est plus facile, mieux accepté, que le vide.

Sur le plan physiologique c'est la quantité d'oxygène contenu dans le sang qui détermine la capacité à tenir plus ou moins longtemps une rétention.

Au plan énergétique les données changent, et ce qui va déterminer les durées des rétentions n'est pas l'oxygène mais la capacité que l'individu a acquis à modifier les processus moteurs du souffle entre oxygène et énergie. En d'autres termes, plus la respiration génère d'énergies, moins le besoin d'oxygène intervient dans la rétention.

Sur le plan mental l'état de concentration est déterminant. Si la concentration est instable durant une rétention, cela laisse la porte ouverte aux réactions émotives et aux différentes sensations qu'elles engendrent, comme l'étouffement, le mal être, l'angoisse, la peur. En réalité, que l'on fasse une rétention à poumons pleins ou à poumons vides, il y a finalement peu d'écart en ce qui concerne la quantité d'oxygène, quel que soit le rythme ou la modalité respiratoire qui précède la rétention. Cela se joue ailleurs, dans la perception, dans la sensation presque toujours inconsciente que le plein est la vie, et que le vide est la mort.

A la naissance, l'être humain accède à la vie extérieure par le vide, ses poumons sont sans air, mais il accède également à la mort par le vide. Quand il meurt, il rend son dernier souffle et reste dans le vide. Il faut donc prendre en considération l'ensemble de ces raisons pour comprendre pourquoi les rétentions poumons vides sont bien plus difficiles que les rétentions poumons pleins.

La vie sans immobilité, sans silence, sans solitude, ne nous apprend rien, ne nous délivre pas d'enseignement, ne nous libère pas des conditionnements de l'espèce et de nos éducations, soient-elles parentales ou sociales. La vie sans la vision lucide de l'inévitable échéance qu'est la mort nous englue dans la fuite en avant de la consommation et des faire valoir qui nous font attribuer plus de réalité et d'importance à l'extérieur qu'à l'intérieur.

La mort est la grande initiatrice qui, si on n'est pas familier avec elle, ne peut pas nous apprendre à vivre libres et sans peur, nous apprendre la valeur de l'éphémère et l'immense légèreté qu'il y a à savourer dans l'instant présent.

Les rétentions à poumons vides sont directement liées à tout cela, elles sont le grand raccourci. L'espace dans lequel elles nous mènent est celui du vide et de la mort. Il n'y a pour autant aucune morbidité ici, car vie et mort sont les deux faces d'une même pièce, l'existence. Elles sont le grand raccourci car elles nous conduisent directement à cette rencontre alors que les événements de la vie, et surtout notre attitude en le traversant, nous incitent plutôt à l'évitement ou à éluder la rencontre. Pour se libérer de la peur de la mort qui contamine nos attitudes, notre façon d'être, qui nous pousse à la consommation pour nous rassurer, qui génère toutes nos autres peurs sans même que nous le sachions, il n'y a pas d'autres solutions que cette rencontre. C'est la seule façon de la démystifier et d'en faire, si on peut dire, une alliée pour traverser sereinement la vie.

Voilà pourquoi les rétentions à poumons vides nous rendent mal à l'aise jusqu'au jour où on lâche, jusqu'au jour où on accepte de se lâcher dans ce vide, jusqu'au jour où on accepte l'idée de la rencontre, jusqu'au jour où l'on comprend qu'on ne peut pas prendre qu'une seule face de la pièce. Vie et mort sont indissociables. Si on accepte de se laisser guider par le vide des rétentions, cet espace de non souffle, de non vie, sera un espace initiatique dans lequel on se rencontrera au plus profond de notre être, sans faux-semblants, sans jugement, sans espoir dérisoire, juste avec un sourire, celui du contentement, ce que l'on appelle en sanskrit samthosha. En fin de compte, quelles que soient les difficultés éprouvées dans les rétentions à poumons vides elles ne sont ni dangereuses ni épouvantables, il nous faut juste rester en recul. C'est à ce moment qu'interviennent, comme une aide précieuse, les techniques du prânâyâma et notre capacité à les faire autant physiquement, énergétiquement que mentalement. Si tout est bien en place, mudra, bandha, mantra, drishti, matra, il n'y a qu'à attendre que la magie du souffle opère. Même si cette attente semble parfois s'éterniser, que les résultats paraissent longs à se produire, qu'est-ce que deux ou trois ans d'attente en comparaison des années suivantes ou tout sera devenu léger et vibrant.

Le yoga traditionnel n'envisage pas de faire des postures ou des souffles sans utiliser largement les rétentions. D'abord parce qu'elles ont, au plan de la santé, des effets préventifs et thérapeutiques, ensuite parce qu'elles sont le moyen le plus direct et efficace pour stimuler l'énergie, enfin parce qu'elles ouvrent un espace de rencontre personnelle intime et solitaire où il est possible de lâcher les peurs qui empoisonnent la vie et barrent l'accès à la conscience et à l'amour.

Gérées avec savoir faire, intelligence et progressivité, elles sont sans risques, chaque pas que l'on peut faire vers une meilleure connaissance de soi rend la vie plus légère et nous libère un peu de la souffrance inhérente à notre condition d'êtres mortels. Il nous apprend le dérisoire des soucis, la légèreté de l'éphémère et la joie de la saveur de l'instant. De pas en pas, de rétentions en rétentions, de vides en vides, le chemin de notre vie se déploie avec grâce et humilité.

Christian Tikhomiroff