Quelle différence entre hatha-yoga et nâtha-yoga ?
En réponse aux natha sampradaya de l'article www.yogalyon3-natha.com/entretien-avec-un-natha-yogi

 

Christian Tikhomiroff, président de notre Fédération

Le yoga le plus répandu dans le monde aujourd'hui est le hatha-yoga. On en connaît bien les postures, la respiration, la concentration et la méditation. Il a conquis l'ensemble de l'Occident où il est sûrement plus connu et célèbre qu'en Inde même.
Il y a donc des milliers et des milliers, voire des centaines de milliers, de professeurs de yoga qui l'enseigne. Le hatha-yoga est très ancien, ses origines se situent «dans la nuit des temps» (ref : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hatha_yoga).

Déjà Patañjali (1 siècle avant J.C) en parlait dans ses Yoga Sūtra. Certains historiens voient les premières traces du hatha-yoga dans les anciennes civilisations de l'Indus, Mohenjo-Daro et Harappa, soit 3000 ans avant J.C. Le hatha-yoga appartient au courant du tantrisme shivaïte, en Inde il est appelé hatha-yoga ou nâtha-yoga, le yoga des nâtha-yogi. Nous en voulons pour exemple la référence aux nâtha-yogi que fait le Hatha yoga pradīpikā :
1) Que la Gloire illumine Adinâtha qui enseigna la science du Hatha-Yoga. Celui-ci brille comme une échelle pour qui désire accéder à l'éminent Râja-Yoga.
2) Après avoir rendu hommage à la Conscience par l'intermédiaire de son propre guru, Le Yogi Svâtmârâma expliqua la science du Hatha-Yoga dans le seul but de pouvoir atteindre le Râja-Yoga.
3) Svâtmârâma, compatissant, offre cette petite lumière sur le Hatha à ceux qui errent dans l'obscurité produite par la multiplicité des opinions car ils ne connaissent pas le Râja-Yoga.
4) Matsyendranâth, Gorakshanâth connurent en premier lieu la science du Hatha-Yoga. Le Yogi Svâtârâma pu ensuite l'apprendre grâce à eux. Le hatha-yoga a été codifié assez tardivement dans les textes traditionnels même si, depuis toujours, on voit des allusions à ses pratiques, ça et là, dans la littérature indienne comme par exemple dans le Vijñāna Bhairava Tantra qui date de la même époque que les Yoga Sūtra de Patañjali.

Ainsi on trouve dans ce texte des références, entre autres, au prânâyâma (traduction Lilian Silburn) :
1. Expiration, en haut ; inspiration, en bas : sur la suprême Énergie composée de ces deux pôles, on doit exercer une poussée ascendante. Chaque souffle étant maintenu en son lieu d'origine, la plénitude s'établit.
2. Espace vide intérieur, espace vide extérieur : sur ce couple que forment les deux souffles, il faut s'exercer sans interruption. De cette manière, ô Bhairavî, la merveilleuse beauté de Bhairavî et de Bhairava se dévoile.
3. Si l'énergie sous forme de souffle ne peut ni entrer ni sortir, - libre alors de toute alternative, elle s'épanouit au milieu. Par son intermédiaire, on accède à l'essence bhairavienne.
4. Que l'on s'adonne à la rétention du souffle après l'expiration ou bien après l'inspiration. A la fin de cette pratique, l'énergie est dite «apaisée» et, grâce à elle, un état d'être apaisé se révèle.
8. Ayant accumulé le souffle dans le sommet du crâne, on doit projeter cette énergie d'un seul coup vers le haut par une contraction des sourcils, comme on briserait un barrage. Si, dans le même instant, la pensée est vide de dualité, on transcendera tout le monde objectif et l'on deviendra omnipénétrant. Lilian Silburn, dans sa traduction du Vijñāna Bhairava Tantra, a clairement expliqué le but que poursuit ce type de yoga : Le Vijñãnabhairava, la discrimination de la Réalité, ultime est un livre sacré dont se réclame l'école Sivaïte moniste du Kashmir. Il fait partie des plus anciens Tantra ou Ãgama, textes révélés qui furent probablement codifiés au début de notre ère quoique leurs éléments constituants remontent à une époque plus lointaine...ces textes portent sur une doctrine secrète transmise par une initiation de maître à disciple et qu'il ne faut pas divulguer. ... Rejetant les rites des Veda qu'ils considèrent comme désuets, les Tantra s'adressent à tous les hommes sans restriction de race, de caste, de sexe ou de croyance. ... Ce que les Ãgama nous offrent de plus profond et de plus original relativement à l'expérience mystique, se trouve condensé dans le Vijñãnabhairava, Celui-ci, distinguant nettement rituel et mystique, ne cache pas son mépris pour le premier qui convient aux dévotes, aux enfants, à tous ceux qui attendent aussi bien la satisfaction de leurs désirs durant leur vie que les jouissances célestes après leur mort, et il s'attache à la seconde, expérience personnelle intime réservée à qui veut s'identifier à Siva. Dans cet esprit, il laisse de côté rite et théologie, et se contente d'exposer de façon concise les états mystiques ainsi que les pratiques ou les circonstances qui en favorisent l'apparition. En fait, il synthétise toutes les techniques traditionnelles de la mystique indienne : souffle, kundalinl, mantra, tantrisme sexuel, bhakti. etc. et décrit les formes les plus variées de la concentration. Sans doute celles-ci étaient-elles pour la plupart connues des anciens systèmes de yoga aussi bien brahmaniques que bouddhistes ou jaïna, mais leur formulation obéissait à une symbolique reçue qui nous paraît froide et figée, tandis que le Vijñãnabhairava a une spontanéité, une liberté d'allure et une verve pleines de saveur. On sent à sa lecture que l'auteur reste docile aux impressions qu'il éprouva lui-même, toujours en plongée dans les couches profondes et vivantes de la vie spirituelle. Il parle en homme d'expérience, et de cette expérience il se joue avec une certaine désinvolture, voire un véritable sens de l'humour, l'exprimant en un langage psychologiquement nuancé mais stylistiquement elliptique et abrupt. Aux alentours du Xème siècle un yogi nommé Gorakshanâth a codifié de façon plus systématique les pratiques de posture, de prânâyâma, etc. Plus tard cela a continué dans des textes comme Haṭha yoga pradīpikā, Śiva saṃhitā, Gheraṇḍa saṃhitā, etc. et quelques Upaniṣad (voir les Upanishad du yoga traduites par Jean Varenne ou le site https:// fr.wikipedia.org/wiki/Yoga_Upanishad).

Lilian Silburn encore elle, mais ce fut la seule française à avoir reçu un enseignement sérieux et à en avoir fait l'expérience, nous livre dans son livre sur la Kundalinī quelques notions sur les nâtha-yogi et leurs pratiques : Comme ils se désignent eux-mêmes du nom de sivagotra, les Natha sont des sivaïtes. Pour eux, Siva, pure Conscience, jouit de la quiétude et de l'éternité, tandis que sakti, son énergie, est à la source du changement ainsi que de l'expérience variée qui s'y rattache. Les Nâtha visent à se libérer durant la vie. Les mesures prises en ce but sont simples. Ils ne préconisent ni les pratiques religieuses extérieures ni la connaissance des traités. Ils insistent uniquement sur une voie directe aussi brève que possible, celle que découvre le mystique en lui-même et jusque dans son propre corps, lieu privilégié de l'expérience, que celle-ci concerne la divinité, l'énergie ou l'univers. Evidemment tout ceci est complexe, comme tout en Inde. Pour simplifier on peut dire que hatha-yoga et nâtha-yoga sont la même chose, il est commun d'affirmer que le hatha-yoga est la méthode technique du nâtha-yoga. Mais ceci est trop limitatif puisque ces techniques se retrouvent partout et dans bien des formes de yoga différentes. Partant de là tous les professeurs qui enseignent ce type de yoga enseignent le nâtha-yoga... Pour compléter ce tableau sur le hatha-yoga et le Nâha-yoga, il faut rajouter qu'un mouvement sectaire issu des différents courants tantriques traditionnels du Nâtha-yoga à vu le jour à la suite de Gorakshanâth, c'est le nâtha sampradaya (https://fr.wikipedia.org/wiki/Nath_sampradaya).

C'est un courant religieux faisant partie intégrante de l'Hindouïsme avec ses hiérarchies, ces temples et monastères, et ses yogi religieux et renonçants, ses règles de morales et son ritualisme. Il s'est développé parallèlement au Nâtha-yoga purement tantrique qui existait déjà bien avant lui. Il a établi des valeurs et des règles assez contraires au tantrisme comme l'abstinence sexuelle par exemple et plus généralement les Yama et la nyama. Il s'est positionné au fil du temps comme la seule voie officielle du Nâtha-yoga, certains de ses adeptes réfutant même jusqu'à l'existence des autres courants Nâtha tanriques. Ne voit-on pas là une déformation systématique de tous les mouvements religieux et plus encore des sectes. A part que cela ne fait que rajouter un peu de confusion, ça n'a ni grande importance ni grand intérêt. En effet ce qu'il nous faut retenir de la différence qu'il y a entre Nâtha-yoga et hatha-yoga c'est qu'il n'y en a pas, si l'on ne parle pas du natha Sampradaya bien sûr qui est indouïste. Pour simpliflier on peut dire qu'il y a trois sortes de Nâtha-yoga :
1) Le nâtha-yoga tantrique originel qui a toujours été constitué d'une multitude de petites «écoles» regroupées autour d'un Maître dans un contexte traditionnel, c'est à dire ésotérique.
2) Le nâtha-yoga populaire tel qu'on le voit aujourd'hui qui est un hatha-yoga essentiellement porté vers la posture alors que le nâtha-yoga implique systématiquement, en plus de la posture, le pranayama, le yoga-nidra et la méditation.
3) Le nâtha-yoga du nâtha-sampradaya qui est une évolution religieuse. Là comme ailleurs toutes le tendances de l'humain se cotoyent mais, indépendamment de ça et comme l'évoquait Lilian Silburn, le nâtha-yoga tantrique est une vraie recherche de liberté et de libération, de tolérance et d'amour de l'individu, autant vis-à-vis de ce qu'il est à l'intérieur de lui-même que vis-à-vis des conditionnements de la société, de la religion, des croyances...

Christian Tikhomiroff www.natha-yoga.com / Septembre 2015